Christian ALLE

Poème


Il fut un temps

Il fut un temps où j’aimais les trains,
Les gares, les buffets,
les salles d’attente vagues,
J’y devinais des frères,
Des anges et même
Des princes crottés comme de culs.
Dans les passages,
Combien de pas j’y ai perdu.
Quelquefois des filles,
Pâles comme des loukoums,
Entre deux convois
Aux relents métalliques,
M’ont fait rêver
Ou donné du fil à retordre.
C’était des errantes sans valises,
Passantes inconnues,
Connues quelque temps.
« -Eh ! dis,
Enlève ton masque,
L’amour t’a reconnue.
-Tu veux une tige ?
-J’ai plus de feu.
-Paye moi un coup de furieux précieux.
-On vient, on s’en va.
Salut ! c’est la Marine. »
Rarement, dans quelque gargote,
Près de la fenêtre brûlée
Par un lampadaire,
On tripatouille une noiraude,
Au corsage mou
Et aux bas de petite jouvencelle,
Mais on ne sait à quel sein
Se vouer tant on est saoul.

Ulcères, narguilés, patères,
Rhum, tarots, baroud de mer.

Plus tard, sur un banc,
Je retrouvais ma substance
Et les hauts parleurs de la Sennécéeffe.
Un sournois siffle et le convoi s’ébranle.
Ma céphalée aussi.

Dans le compartiment,
Un petit vieux 1900,
Rasé de près, fait le guet
Vers une assez jolie femme,
Aux mains fines et nouées,
Assise auprès de lui.
Elle, elle croise et décroise
Les jambes et songe
A des voyeurs.
Moi, je somnole,
« -Quoi, on m’a parlé ? »
Derrière la vitre
Une patrie s’écoule comme un fleuve,
Des péniches tirent à bout portant
Des remorques comme des guirlandes.
Les lignes électriques,
Comme des portées musicales
Ondoient
Tantôt contre les stratocumulus,
Tantôt contre les feuillaisons vertes.
« -Ah ! Qu’il est bon d’être seul
Parmi le monde. »
Plus tard, quittant le squelette urbain
Et la chair rurale,
Nous aperçûmes la Mer.
Puis la gare en cul de bouteille.
« -J’ai disait la femme,
D’une voix mal équarrie,
Au vieux Monsieur congestionné,
Un Marin dans chaque port. »

Comme l’express s’arrête,
En mordant mon brûle-gueule,
Je sort.
Sur la place un car ronronne,
Bondé d’exotiques embrumés.

Il fut un temps ou j’aimais les cars,
Qui filaient rond
Vers l’Aventure.

lundi 12 décembre 2005

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Christian Alle, plasticien, est aussi adepte du Mail Art, et a créé une revue: Nada Zéro