Patrick

Mise à jour : 04-Mar-2008

24 ans

 

24 ans
Je m'appelle Joseph Rosenberg, je suis né en Pologne à Olsztyn le 7 mai 1917.

Ma famille est installée dans cette ville depuis plusieurs générations.

Mon père tenait la plus grande librairie d'Olsztyn, et avec ma mère, ils organisaient tous les étés des rendez-vous littéraires comme ils les appelaient. Beaucoup de monde y participait, c'était une sorte de témoignage pour mes parents, de gratitude envers tous nos voisins et clients.
Dans ce pays beaucoup de juifs n'avaient pas notre chance, leurs commerces étaient souvent la proie de jeunes nationalistes hystériques.

Je finissais mes études de médecine à la faculté de Varsovie quand la guerre à éclaté.

Par prudence, tout juste avant que le pays ne soit envahi, mes parents et d'autres personnes de ma famille ont immigrés aux États-Unis d'Amérique. Seules mes tantes et une cousine n'ont pas voulu quitter le pays, cela fait longtemps que je n'ai plus de nouvelles d'elles.

Je n'ai pas eu le temps d'exercer avant d'être comme beaucoup d'autres........... arrêté.
C'est un de mes amis, lors d'une discrète soirée, qui a crié que j'étais juif, mais que j'étais le futur prix Nobel de médecine, je ne lui en veux pas, il était ivre !

Ce prix n'avait pas été attribué l'année dernière, la guerre interdit décidément plus de choses qu'on ne le croit.

Comme ceux qui m'accompagnent, je suppose, je n'ai pas mangé ni bu depuis plus d'un jour.
Ce wagon est une vraie fournaise, il n'y a de place pour personne, on se chevauche, on se marche dessus.
Certains dorment depuis le début, depuis qu'ils ont fermé les portes.
Dans le coin, nous avions réussi à percer le plancher un peu vermoulu, l'urine des chevaux que transporte habituellement ce wagon y a attendri le bois. Avec mon stylo nous avions fait un trou d'à peine dix centimètres, mais ça suffisait.

Au début deux hommes ou deux femmes, en fonction des cas, se relayaient pour tenir un manteau, gardien de la dignité humaine, ce manteau est depuis des heures à l'abandon, nous n'avons plus la force de tenir quoi que ce soit, pas même nos corps debout.

À côté de moi il y a un couple avec leur enfant, je me force à lui faire des grimaces, il sourit de temps en temps, il doit avoir 4 ou 5 ans.
L'odeur pestilentielle qui se répand maintenant passe inaperçu pour la majorité d'entre nous, je crois que le pire est à venir.

Le train semble ralentir, le bruit régulier de locomotive également. Je suis apparemment le seul à y porter intérêt.

Mais quand le grincement des freins se fait entendre, et qu'un léger basculement vers l'avant résonne, nous levons tous un regard vers la porte.

Le train est maintenant stoppé, des voix criardes se font entendre juste derrière cette porte qui commence à coulisser.
La lumière du soleil nous éblouie, mais sous les injonctions des soldats nous nous levons. Je suis dans les premiers à descendre du wagon, j'échappe sans le vouloir aux coups de crosse qui pressent les autres de descendre.

Un soldat sépare le couple de leur enfant, le père essaye de retenir son fils mais la crosse du soldat lui écrase violemment le visage. À terre, il est forcé de se relever sous les coups de pieds des autres soldats. Devant moi un chien se déchaîne sur une femme qui hurle, elle tente de frapper la bête mais la baïonnette d'un fusil lui transperce le cou. Un coup de feu retentit, et juste sur le côté un vieillard s'écroule. Nous sommes séparés des femmes ; sur un simple coup d’œil d'un soldat en blouse blanche, je me retrouve dans la colonne des vieux et des chétifs.

Au bout d'une centaine de mètres nous nous retrouvons devant un petit hangar, sous les coups nous y pénétrons. Derrière moi la porte se referme, la lumière disparaît. Une petite brume envahit rapidement tout le volume du hangar, les gens crient, hurlent, essayent de frapper à la porte mais déjà les premiers tombent. Je n'arrive plus à respirer, mes poumons me brûlent, je pleure...

 

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