Patrick

Mise à jour : 04-Mar-2008

14 ans

14 ans.
 Je m'appelle Leonid Pavlovitch, je suis né à Voljski le 4 août 1928.

Mon père travaillait à l'usine des tracteurs, et ma mère était vendeuse dans un magasin de chaussures. Cela fait maintenant plusieurs mois que je ne les ai pas vus. Mais je sais que ma mère est vivante car j'ai participé à son évacuation de la ville l'été dernier.

En partant, elle ma donné un pot de confiture et quelques roubles. Ce n'est pas grand chose mais c'est tout ce qu'elle avait, elle n'a quitté la maison qu'au dernier moment, après avoir passé des jours et des nuits à attendre mon père.

Depuis ce début de mois de janvier je sers le camarade général Joukov en tant qu'estafette.

Comme je suis petit, j'arrive à me glisser dans les bâtiments en toute discrétion, ma connaissance de la ville en ruine désormais, fait que je m'y faufile comme lorsque j'y jouais pendant des journées entières avec des petits frères, en attendant mes parents.
Je me suis vite habitué aux ruines, bien qu'elles changent souvent.

Pour rentrer à la maison nous prenions le bac pour traverser la Volga. Mon plaisir était alors de regarder les pêcheurs ressortir leurs filets et de découvrir avec eux les poissons qui se débattaient entre les mailles.

L'avantage d'être estafette est que je suis bien nourri et bien couvert. Il m'est arrivé plusieurs fois de partir en mission pendant deux ou trois jours, le plus souvent pour apporter des plis, des munitions ou de la nourriture aux postes les plus avancés. Je me rappelle avoir mis trois jours et quatre nuits pour parcourir deux cents mètres.

Ce matin je dois apporter un énorme poste radio à nos premiers camarades soldats qui sont arrivés à la porte de l'usine des tracteurs. Je suis excité, je ne peux m'empêcher de penser à mon père, peut-être est-il toujours la bas ? Je vais peut-être le revoir ?

J'ai vu des tas de cadavres sur mes parcours, toujours gelés et recouverts de neige, je n'ai jamais osé regarder si je reconnaissais mon père parmi ceux qui étaient toujours en état.

On a enveloppé le poste dans deux grosses couvertures pour le protéger des chocs et surtout du froid, les – 28°C pourraient détruire les ampoules d'après ce que m'a dit le camarade responsable des radios.
Avec ce colis volumineux je ne vais pas pouvoir prendre mes voies parmi les ruines, je l'ai donc attaché sur un ski que j'ai coupé en deux, car je ne pourrai qu'emprunter les rues et jardins.

Cela fait maintenant trois heures que je longe, accroupi, les murs de mon deuxième grand axe.

Pour la première fois je n'ai pas peur, bien qu'il m'arrive d'être à découvert, l'idée de revoir mon père, qu'il m'attend peut-être au bout de chacune de ces rues, me redonne courage et espoir. J'observe depuis peu à travers la carcasse déchiquetée d'un camion l'autre côté de la petite place que je dois traverser. Et dire qu'il y a quelques mois à peine, j'y jouais à cache-cache avec mes frères !
Elle est maintenant dévastée, les arbres y ont été fauchés par les obus, et les petits monticules de neige autours des chars à croix noirs sont les uniques linceuls leurs équipages.
Il n'y a que les bruits sourds et quotidiens des combats dans tout le reste de la ville. Cette place semble momentanément épargnée par l'enfer.

Je me décide alors à ramper, le long d'un banc, mon objectif est d'atteindre cette pièce d'artillerie au canon disloquée. Un étrange sentiment que l'on m'observe m'envahit soudainement, je n'ai donc pas le choix je dois me relever et courir.

Debout, je tire péniblement mon colis sur plusieurs mètres.

Mais il s'est détaché du ski et tombe sur le côté. Je me précipite pour refaire un nœud. Je prends la corde, et doucement je lève les yeux, une lueur au loin, je savais qu'il ne fallait pas que je sois à découvert.

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