Patrick

Mise à jour : 04-Mar-2008

22 ans

 

22 ans
 Je m'appelle Grégoire François, je suis né à Paris le 13 juin 1922.

Ma famille habite Chartres, où mon père est professeur de mathématique, ma mère y travaille à la mairie comme simple employée.

Je sais que j'ai de la chance, mes parents ayant de bons revenus, ils ont toujours pu subvenir à mes besoins. Le fait d'être enfant unique y est pour beaucoup, mais je dois quand même avouer que c'est principalement l'amour de mes parents qui fait que je suis heureux. Malgré les restrictions que nous subissons depuis des années, ils ne cessent de me gâter.

En ce mois d'août, j'étais venu passer quelques jours de vacances avec des camarades de classe.

Mais Paris s'est réveillé ce matin dans un silence inhabituel, avec les rumeurs les plus folles.

Depuis le débarquement des alliés nous avons retrouvé espoir. Les boches sont toujours là mais je sais que leur fin est proche.

En allant chercher le pain ce matin, j'ai vu des bandes de jeunes construire des barricades à la va vite. Pour une fois je n'ai pas entendu la fanfare de l'occupant jouer dans le kiosque au milieu du square, juste en bas de ma fenêtre. En toute franchise, leur musique me déplait.

Je me rappelle qu'une fois, un chef d'orchestre que je voyais pour la première fois, avait fait jouer autre chose que ces airs de marches inintéressantes, mais il ne l'avait fait qu'une fois car depuis je ne l’ai plus revu.

La boulangerie était fermée, et cela fait maintenant une heure que je suis bloqué dans ce café de coin de rue, « chez Marcel », là où il m'arrive de venir prendre un petit café. Avec moi, il y a le couple de gérants et quelques clients, certains malgré eux.

Un char est venu et à tiré sur les jeunes qui se dispersaient à sa vue. Sans hésitation il a défoncé le début de barricade, puis il a continué sa route. Il y a dix minutes j'ai entendu une violente explosion, mais avec les autres personnes qui se trouvent avec moi, nous avons beau regarder discrètement par les fenêtres, nous ne voyons rien.

J'observe maintenant des soldats allemands qui descendent d'un camion, ils ne sont pas nombreux.

Ils entrent dans le square, puis presque aussitôt en ressortent avec une personne qui traîne les pieds.

Deux soldats la tiennent par les bras et la font monter dans le camion.

Soudain je vois un jeune qui du haut de son immeuble lance une bouteille sur le camion.

En atteignant l'avant du véhicule elle se transforme en une boule de feu.
Je vois un soldat partir en flamme, un autre essayer de lui porter secours, et le reste tirer sur la fenêtre déjà refermée.

Les Allemands se dépêchent maintenant de partir en transportant tant bien que mal leurs blessés.

Ils laissent derrière eux l'homme qu'ils avaient attrapé. Il est allongé à l'arrière du camion débâché.

Si personne ne lui porte secours, il va brûler vif.

Je regarde les hommes qui pourraient m'aider à faire quelque chose. Mais sentant venir mon appel ils annoncent en l'air que c'est dommage pour ce type là, que d'y aller c'est aller à la mort ; sans gloire car il est probablement déjà mort, pire c'est sûrement un collabo qu'ils récupèrent.

Je ne veux pas entendre de telles : je ne peux me résigner à rester là sans rien faire. Cette personne a sûrement de la famille, des enfants, des parents, et combien même il serait seul, je ne peux le laisser mourir.

J'ouvre la porte sous les cris des lâches. Je cours comme un fou vers le camion; j'attrape le bras de l'inconnu et essaye de sentir son pouls.
Rien.
On ne sait jamais. Alors je le tire, arrive difficilement à le mettre sur mon dos et avance à pas pressés vers le café. Ils ont quand même ouvert la porte !

Mais j'entends le ronronnement d'un moteur, je le reconnais. Je m'arrête.............. la tête baissée, essoufflé, couvert du sang de l'inconnu, je n'ose pas regarder sur le côté.
J'entends un grand bruit. Sans mal, je m'écroule sur le sol, le corps de l'inconnu est devant moi, il n'a plus de tête. Ma vie s'en va.

Je comprends que tout est fini car ils ont refermé la porte.

 

Suite

Sommaire des œuvres de Patrick

Accueil

Conception & réalisation: Lauranne ©Copyright1999-2008. Poésie contemporaine. Poèmes, nouvelles, pastiches.