Lauranne

Mes Oulipettes

(extraits)
Si vous aimez l'OULIPO !

René Char

LES MARMOTS SANS TÊTE

(Dé)contamination

Jamais, au grand jamais, René Char ou Francis Ponge (ou Victor Hugo, ou Khalil Gibran...) n'ont, me semble-t-il (avec ces affaires là, mieux vaut être prudente), affirmer être propriétaires, inventeurs, (pro)créateurs, etc. des mots qu'ils ont utilisé. Donc, je peux bien les utiliser moi aussi...
Ah ! Mais, si je recopie mot à mot tout un texte, alors là, non, ça ne va pas...
Ouais... Et deux mots (disons que les déterminants, quand même, ça compte pour du beurre) ?
Ben, ça dépend. " Le chat noir " ne sera revendiqué par personne (touchons du bois !) mais les problèmes pourraient fort bien commencer avec " des cuisses embaumées " (René Char, in Le Marteau sans maître, éditions José Corti, Paris, 1934. Page 75, Les observateurs et les rêveurs.).
C'est exactement le même problème avec la musique (mettons de côté l'interprétation...). Les notes n'appartiennent pas vraiment à quelqu'un, l'air, oui.
Serait-ce l'ordre qui importe ? Qu'à cela ne tienne ! On se retrouve avec " embaumées des cuisses " ou encore " cuisses des embaumées ". C'est un peu court (jeune homme) ? Moi, je trouve pourtant ça déjà pas si mal; c'est presque tout un style... Si je mélange ces deux morceaux d'anthologie, me voilà auteur de monuments irréfragables tels que : " le (noir) chat (noir) embaumé, les (noires) cuisses embaumées du chat (noir), les cuisses (noires) du chat (noir) embaumé, les chats (noirs) des cuisses, les chats embaumés des cuisses (noires) ", voire même des " chattes cuissues, des (noires) (félines) cuisses (félines) (noires), la (noire) chatte embaumée des cuisses... ". (Merci l'Oulipo).

Voici donc un premier exercice, avec un poème de René Char, donc :

LA TORCHE DU PRODIGUE

Brûlé l'enclos en quarantaine
Toi nuage passe devant
Nuage de résistance
Nuage des cavernes
Entraîneur d'hypnose.


On obtient :
LA PRODIGALITE DE LA TORCHE
(Le Prodigue Torché)

L'enclos brûlé en quarantaine
Nuage passe devant toi
Résistance de nuage
Cavernes de nuage
Hypnose d'entraîneur

Beurk et rebeurk !
Ce n'est peut-être pas la peine que je m'amuse à re(dé)tricoter du René Char ! Je risquerait fort de me retrouver avec simplement... son lexique de départ, une infâme soupe de mots sans parfum.

Bon, soyons juste : son lexique est particulier. M'enfin... Le chocolat c'est bon ; la sardine, aussi : c'est bien d'allier les deux qui est difficile !
Je me retrouve donc avec un entraîneur sans doute dopé, un enclos pour animaux malades et probablement contagieux (brûlé) et des nuages partout. Sale temps. En chemin, j'ai perdu de vue la recette. Il manque le liant. Parce que ça ressemble à tout, tout sauf à du René Char. C'est un comble !

Deuxième exercice : J'ai donc choisi deux textes du même auteur, avec sensiblement le même nombre de mots, pris un mot sur deux à chacun, lié la sauce, et basta ! (ou pasta).

LA TORCHE DU PRODIGUE

Brûlé l'enclos en quarantaine
Toi nuage passe devant
Nuage de résistance
Nuage des cavernes
Entraîneur d'hypnose.


VOICI

Voici l'écumeur de mémoire
Le vapeur des flaques mineures
Entouré de linges fumants
Etoile rose et rose blanche
Ô caresses savantes, ô lèvres inutiles !

J'obtiens :
VOILA

Brûlé l'écumeur de quarantaine
Le vapeur passe devant

Nuage de linges fumants
Nuage rose et rose nuage
Ô entraîneuses caresses, ô hypnoses des lèvres !


LA VOIE

Voici l'enclos de mémoire
Le nuage des flaques
Passe
Entouré de résistance
Etoile des cavernes et caverne d'étoiles
Entraîneur savant d'hypnoses inutiles.

Sans forfanterie aucune, mais sans doute parce que néophyte en charisme ( ah ah ! ), mon opinion est que j'ai produit là d'authentiques faux. Ainsi, en peinture, si l'une des techniques ( primitive ! ) des faussaires consiste à recopier platement une Ouvre d'art, une autre consiste à prélever de ci, de là, des modèles dans les tableaux du Maître, à copier la composition de l'un, vissant la tête de cette vahiné sur le corps de cette autre, cette poitrine opulente sur cette vierge, ce garçonnet ci dans ce buisson là, habillant cette nudité du tapis de la case et ce petit chien du pelage de la vache, etc. On obtient ainsi, par exemple, un joli Gauguin. Le travail des experts consistera alors, à retrouver les morceaux originaires. Bien entendu, l'escroquerie est de signer du nom illustre.
Et pourtant...
Tous les éléments ( mis à part l'attachement fétichiste qu'on pourrait éprouver envers ce qui a été réellement touché par le Maître... ) sont bien à lui !
Le problème, à ce qu'il me semble, c'est que ça n'est pas non plus vraiment un " à la manière de ", car il n'est pas possible qu'un peintre ne fasse que se copier lui-même, que copier et redisposer ses éléments sur la toile... Il a bien fallu, au moins une fois, qu'il crée ! Bref, il est difficile de concevoir comme manière le fait de se copier soi-même. De copier quelqu'un d'autre, oui; si on y ajoute sa propre sauce. Même un pasticheur aura sans doute un style personnel qui pourrait permettre de l'identifier, malgré tout.
Surtout, que nul ne me demande si j'ai un style !?,!...

Je dis " j'ai produit " parce que le choix ultime m'est tout de même échu.
J'eusse pu décider d'écrire :
Voici l'enclos de mémoire
Le vapeur passe devant
Entouré de résistance
Nuage rose et rose blanche
Entraîneur d'hypnoses savantes et inutiles.

Mais je ne l'ai pas fait.
Parce que, moi, je trouve que tout devient alors trop clair et que le texte n'a plus rien à dire. Il n'y a plus d'éclatement du/des sens; ou pas assez, à mon goût. Comparer la mémoire à un fer à vapeur (et encore, il manque linges fumants !) qui passe et repasse (ah ah !) avec son fil électrique, dans un va et vient qui fascine la ménagère, euh...
Bon, ou alors il s'agit d'un bateau qui fait la navette, avec plein de fumées toxiques et hallucinogènes, bof...

Donc, je n'ai pas écrit que ce j'ai écrit, là, au dessus. Point.
D'ailleurs, je n'ai rien écrit du tout.

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